Ne pas rencontrer un livre (Mémoire vive, mémoire morte)


J'ai lu Mémoire vive, mémoire morte, le recueil de nouvelles de Gérard Klein, il y a quelques mois, et j'écris cet article après l'avoir laissé décanter.

Je l'ai pris en librairie parce que, déjà, j'aime les nouvelles, puis j'aime bien lire un recueil de nouvelles d'un écrivain pour me faire une idée de ce à quoi ressemble son écriture. Notamment si ledit écrivain voudrait me faire acheter les dix ou douze tomes de sa saga de fantasy.

Ce qui n'est pas le cas de Gérard Klein mais celui de George R. R. R. R. R. R.1 Martin, dont je n'ai lu Le Voyage de Haviland Tuf que pour déterminer si oui ou non je me mettrais à A Song of Ice and Fire.

Autrement dit, je digresse.


Gérard Klein, je le connaissais surtout comme directeur de collection. C'est par exemple grâce à lui qu'au début de cette décennie j'ai bouffé plein de petites choses écrites par Robert A. Heinlein2.

Je suis passée quinze fois devant Les Voiliers du Soleil (un autre bouquin de Klein) dans une bouquinerie bordelaise, sans jamais me décider à le prendre, pour voir, pour deux euros cinquante, savoir enfin quel auteur était cet homme que je lisais dans des préfaces.

Mémoire vive, mémoire morte. Vingt nouvelles, triées par époque car c'est un recueil qui reprend ses écrits de ses débuts à nos jours. Histoire de remplumer cet article, et de mieux décrire son objet, voilà les nouvelles :



Un : un membre de l'organisation de contrôle écologique de la Terre est appelé pour essayer d'empêcher une catastrophe.
Deux : un homme renonce à une technologie mémorielle parfaite pour échapper à ses regrets3.
Trois : un homme revenu d'une mission spatiale perd espoir en ne recevant aucun signe de la Terre.
Quatre : une femme attend son mari, qui s'est malheureusement trouvé sur le chemin d'une entité inconnue.
Cinq : une femme à une fête repère l'arrivée d'un OVNI, abattu par les feux d'artifices.
Six : un homme rencontre en se baladant son alter ego d'une autre dimension.
Sept : un homme voit un météore tomber sur Terre. Ledit météore a pour but de la rendre à l'état de boule de lave où elle se trouvait à sa formation4.
Huit : un homme travaille à écouter les bruits de l'espace, pour tenter d'y déceler l'intelligence.
Neuf : un enfant raconte l'ennui de son vaisseau-colonie.
Dix : un télépathe raconte l'insupportabilité de son don.
Onze : une équipe de recherche découvre une bibliothèque : la dernière bibliothèque d'avant la guerre nucléaire5.
Douze : une équipe d'exploration parcourt les constructions incompréhensibles d'une exoplanète autrement déserte.
Treize : un dragon insulte un chevalier dans son dernier râle d'agonie.
Quatorze : le premier robot programmé avec elles a trouvé une faille dans les Trois Lois de la Robotique d'Asimov.
Quinze : un trader veut explorer l'avenir pour spéculer en bourse mais ça ne fonctionne pas.
Seize : les dirigeants secrets du monde se réunissent à la fin du XXe siècle pour planifier les grands événements de l'année 2000 (car tous n'ait que trompri).
Dix-sept : le dernier homme sur Terre est harcelé par une femme qui veut se reproduire avec lui.
Dix-huit : le dernier homme sur Terre meurt. Ses robots sont perturbés6.
Dix-neuf : un homme mate des femmes sur une plage.
Vingt : le monde disparaît, parce qu'il est arrivé à sa fin.

Si j'écris cet article, et si je me pose la question de la légitimité de cet article à exister, c'est pour la même raison.
Aucune de ces nouvelles ne m'a touchée.
Aucune ne m'a parlé.
Et maintenant, quoi ?


Non-rencontre

Ce n'est pas ma première non-rencontre avec un auteur. La première dont je me souviens était avec Ray Bradbury. J'avais lu les Chroniques Martiennes et la Foire des Ténèbres, dont je n'avais pas saisi toute la substance mais qui m'avaient accrochée.

Puis j'ai lu Farenheit 451 et je suis restée de marbre, au point de ne pas le finir et de laisser ma mémoire à long terme ne pas en retenir autre chose que "c'est un pompier qui brûle des livres". J'avais quelque chose comme quatorze ans.

J'ai (re)lu Farenheit 451 il y a quelques mois, incitée par tout ce monde partout qui en parlait comme d'un chef-d’œuvre incontestable et incontesté. Cette fois-ci, j'ai accroché. J'avais vingt-cinq ans.

Qui sait si cette non-rencontre avec l’œuvre de Klein s'est produite à cause de qui il est, à cause de qui je suis, ou à cause de qui je ne suis pas encore. Vais-je reprendre ce recueil dans onze ans et le trouver génial ?


Je n'ai plus quatorze ans

Je ne sais pas. Contrairement à Farenheit 451, dont je me souviens de n'avoir compris ni la poésie, ni les personnages, ni les enjeux, je vois les ficelles dans ce recueil. Je coche des cases de ma liste mentale des tropes de science-fiction, je lève le pouce à un twist intéressant, je décortique le puzzle d'un style "oh là là mon personnage est fou et son train de pensée est difficile à comprendre" utilisé plus souvent qu'à son tour, je reconnais de jolis effets et de jolies images.

Mais tous ces éléments ne s'agglutinent jamais en un récit qui m'entraîne, je n'entre jamais, je reste dehors à constater qu'effectivement ce sont des mots, qu'effectivement ils forment une histoire, qu'effectivement il y a des idées recherchées.

Est-ce que l’œuvre de Klein, remontant à 1958, est trop vieille pour mon esprit de millenial bourré aux réseaux sociaux ? Je ne sais pas : j'ai aussi un recueil de nouvelles de Nat Schachner, qui, bien qu'écrites dans les années 30 et 40 et traduites dans les années 70, m'ont parlé, emballée, éclairé sous un nouveau jour la science-fiction américaine de ces années.

Est-ce que je manque de contexte ? Je lis un peu de SF française, je ne peux notamment pas vous conseiller assez de vous procurer les écrits de Jeanne-A Debats7 et Catherine Dufour8 ; j'épluche tout ce que je trouve des frères Strougatski9 mais c'est tout ce que je connais de la science-fiction russe. Il est donc tout à fait possible que je ne sois pas acculturée pour apprécier l'écriture de Klein.

Est-ce que je suis un peu déprimée et que, pour une raison ou une autre, ça a shunté ma capacité à me laisser porter par les phrases, mon petit mental fripé ne pouvant plus que décortiquer et analyser le texte sans le vivre ? Les nouvelles de Klein ne seraient que des dommages collatéraux d'une erreur interne. Peut-être. Je n'en sais foutre rien.


C'est confus tout ça

J'écris cet article parce que je ne comprends pas très bien comment les choses fonctionnent. Je décide de mon appréciation10 d'un livre en fonction de cette idée nébuleuse "d'entrer dedans", de laisser mon attention, mes émotions se dissoudre dans l'histoire. Je sais que ça ne me condamne pas aux pulps et aux Harlequins, je suis déjà entrée de cette façon dans des classiques.

Mais est-ce que je rate un truc ? Est-ce que c'est la seule façon de lire ?

Ou est-ce que je peux hausser les épaules, ne pas me prendre la tête, et me contenter de ne pas recommander ce livre quand je recommande des livres à quelqu'un ?

En tout cas, je ne suis pas plus près de comprendre ma non-appréciation de Mémoire vive, mémoire morte que quand j'ai commencé à écrire cet article.

J'ai étalé ma confusion : elle est toujours la même.

Et vous ? Vous avez compris comment ça marche, l'amour de la lecture ?



  1. Raymond, Richard, René, Roger, Romain, Rapunzel.

  2. Sur le sexisme duquel des personnes plus intelligentes que moi ont déjà tout dit, mais qui m'inspire encore l'affection de vouloir ajouter une nuance qui le sauverait. 

  3. Incidemment, c'est l'intrigue d'un épisode de Black Mirror.

  4. Incidemment, c'est l'intrigue d'un épisode de Justice League Action. ... Oui bon on a les références qu'on peut.
     
  5. Ce qui m'a fortement rappelé une histoire dans un numéro de magazine jeunesse où des archéologues du turfu découvraient une piscine municipale et la prenaient pour un ancien temple, comme quoi les histoires sur ce thème font toujours la même blague.

  6. La 16 et la 17 sont similaires pour une bonne raison : ce sont toutes les deux des variations de Knock. Ce qui m'amène à poser une règle pour les écrivains : on a le droit d'écrire une variation de Knock dans sa vie et après on arrête.

  7. La Vieille Anglaise et le Continent est disponible en poche pour moins de 10 balles et c'est trop bien.

  8. Le Goût de l'Immortalité et Outrage et Rébellion, *s'embrasse le bout des doigts dans un geste d'appréciation*

  9. Ne vous laissez pas arrêter par les adaptations cinématographiques conceptuelles de leur œuvre et procurez-vous au moins Stalker. J'ai aussi beaucoup apprécié Le lundi commence le samedi, mais je ne sais pas s'il est trouvable facilement. L'auberge de l'alpiniste mort était juste... bizarre, et je n'ai pas encore fini Il est difficile d'être un dieu donc je n'ose pas me prononcer.

  10. Je parle bien sûr d'appréciation au premier degré. J'apprécie Sax Rohmer au second degré. J'apprécie Les cendres sont encore brûlantes au troisième degré.

Commentaires

  1. Me suis déjà posé la question après n'avoir pas accroché à des bouquins. En d'autres conditions, l'aurais je plus apprécié ?
    La qualité seule du bouquin ne fait pas tout. Le contexte personnel va jouer beaucoup je pense. Quel est notre état d'esprit du moment, nos envies, nos influences...
    En fait ta petite description du recueil de nouvelles m'a donné envie, même si ce n'était pas ton intention. Je vais essayer d'y jeter un oeil.
    Sinon, perso, Georges Roublard Radagast Martin, j'aime pas vraiment le style malgré tout le bien qu'on peut dire de lui...

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    1. "En fait ta petite description du recueil de nouvelles m'a donné envie, même si ce n'était pas ton intention."

      Ah bah forcément, on dit "dragon"... :D

      "La qualité seule du bouquin ne fait pas tout. Le contexte personnel va jouer beaucoup je pense. Quel est notre état d'esprit du moment, nos envies, nos influences..."

      Y a peut-être un truc. Dans quasiment toutes les nouvelles de "Mémoire vive, mémoire morte", les personnages sont en mal-être et impuissants, ou alors sont des salopards (parce que le pouvoir ça corrompt, tsais). J'aurais davantage besoin qu'on me remonte le moral.

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  2. Pas mieux : on a le droit de ne pas accrocher aux classiques...
    Pour reprendre tes exemples, j'ai lu Fahrenheit 451 vers 17 ans, et je n'ai pas accroché. Je crois que si je le relisais aujourd'hui ça serait un peu pareil ; le style n'est pas celui que je recherche dans mes moments de lecture, c'est un peu trop sérieux en fait pour moi...
    Par contre, j'ai lu les chroniques martiennes vers 26-27 ans et j'ai beaucoup plus apprécié ; je pense que celui-ci, à 17 ans, je l'aurais aussi ceux apprécié que Fahrenheit. Un peu comme si je trouve Bradbury meilleur dans des nouvelles (en considérant que ses chroniques en soit...) que dans un roman long.
    De la même façon, je ne suis pas près de relire le 3ème tome du Seigneur des Anneaux, mais je n'aurais rien contre une relecture de Bilbo. Alors que le plus "classique" / "culte" / "estimé" (etc.) est bien sûr le premier...
    Bref, chacun ses goûts et tant mieux. Ca remplit les bibliothèques et librairies :)

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    1. Le seigneur des anneaux, pas accroché non plus. Trop chiant et avec la même richesse descriptive qu'un GPS...
      Alors que Bilbo j'ai adoré comme bouquin.
      A bas les classiques !

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    2. Chacun ses goûts... oui. Je ne sais pas, la lecture a fait partie de ma vie d'aussi loin que je me souvienne, tout livre qui ne fonctionne pas avec moi me fait l'effet d'une anomalie.

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