L'expérience la solitude (3/3) : la mercatique

Rebonjour !

Ça fait presque un an que j'ai fabriqué et sorti le tirage de la solitude alors, au moment de me lancer sur la création d'un prochain livret, je me suis dit que j'allais faire un point sur comment ça s'était passé la dernière fois. C'est en trois parties, divisées comme ce suit :

  1. Le contenu
  2. Le contenant
  3. La mercatique

Et aujourd'hui, c'est la mercatique. Qu'est-ce que j'entends par là ?

  • Calcul du coût de revient et décision du prix
  • Prendre, se faire payer et acheminer des commandes
  • "Communication"

Calcul du coût de revient et décision du prix

Une chose que je voulais avec ce petit projet c'était ne pas me retrouver en difficulté financière du fait d'avoir sous-estimé les coûts de fabrication. Une méthode pour s'en sortir, c'est de mettre un prix haut, genre 10€ frais de port compris. Je ne me sentais pas de faire ça : je n'ai jamais été publiée chez un éditeur ou dans une revue, je n'ai pas un public en délire prêt à me jeter de l'argent au visage sous tous les prétextes, mieux valait la jouer prudente.

J'ai ouvert un tableur qui essaie de compiler le coût des matériaux par livret, l'amortissement du matériel sur l'ensemble des livrets, etc., jusqu'à parvenir à une réponse à la question : si je ne prends pas la moindre marge, combien coûte le livret ?

Vous pouvez le regarder sur l'image qui va suivre : 

(Oui, j'aime le violet.)

Ce tableau n'est pas conçu pour que vous ne compreniez pas ce qui s'y passe, mais je ne vous en voudrais pas si vous ne compreniez pas ce qui s'y passe.

Grosso modo, le livret "coûte" 1€ de matériel et d'amortissement des machines utilisées pour le fabriquer (pour le même prix il y a l'enveloppe dans laquelle il sera livré), je "coûte" 1€ de mise à disposition pour le fabriquer, et les timbres sont de plus en plus chers ma bonne dame.

Mon idée était donc de le vendre à 2€ en mains propres, + 1,9€ de frais de port correspondant aux timbres. On m'a dit que 2€ n'était pas assez pour cet objet précis vis-à-vis des prix du marché. Tant pis.

À part ça, vous avez déjà repéré autre chose qui ne va pas dans ces calculs ? Félicitations, vous êtes meilleurs que moi. J'y viens dans une partie suivante.

Prendre, se faire payer et acheminer des commandes

Pour prendre des commandes, j'ai pris une décision qui n'était pas très maligne et qui, si elle ne m'a rien coûté, n'a je pense pas spécialement attiré la confiance des gens : plutôt qu'utiliser une solution de boutique en ligne, j'ai demandé aux gens de m'envoyer une réponse sur un formulaire Google Forms.

Je n'avais pas envie de payer des frais supplémentaires liés à une boutique payante, parce que ce n'était pas calculé sur ma feuille de calculs de coût de revient, et que je ne voulais pas augmenter mes prix.

Haha.

Avec le recul, j'aurais dû recourir à la boutique en ligne uTip. D'ailleurs c'est ce que je fais pour le reste des exemplaires.

Une fois que les gens ont répondu à ce formulaire, où je leur demande leur adresse mail mais pas leur adresse physique, où je les informe du prix mais où je ne leur demande pas de payer tout de suite, je les recontacte par mail, leur demande s'ils sont toujours d'accord... bref, même si je suis passée par une solution informatique impersonnelle de Google pour garder une trace de leur commande centralisée quelque part au cas où tous mes autres systèmes d'organisation échouent, j'essaie à ce moment-là de montrer un visage humain ! Je vérifie si tout va bien et s'ils veulent toujours commander, ensuite je les envoie sur une page PayPal avec le montant déjà pré-entré pour éviter les surprises.

Comme j'ai proposé à ce moment-là aux gens de choisir leur numéro d'exemplaire - je ne le ferai plus je pense ou pas comme ça, peu de gens ont été réellement intéressés par la possibilité - j'ai besoin de tenir un suivi de quels exemplaires je possède encore ou pas, d'où un tableau qui est le suivant et qui contient beaucoup trop d'informations personnelles sur mes clients pour que je ne brouille pas tout le plus possible :

D'ailleurs ce tableau n'est pas à jour, la personne qui semble ne pas avoir payé a en fait payé

Certaines colonnes, à l'usage, ne servaient à rien ; je referai ce tableau en fonction la prochaine fois.

Donc, je fais des envois à la Poste, soit en tarif Lettre Verte vers la France, soit en tarif Livres et Brochures quand je reçois des commandes de l'étranger (fun fact : c'est moins cher). Pour le paiement, soit ça se passe en mains propres (on constate une certaine corrélation avec le fait de donner le livret en mains propres), soit je propose aux gens de passer par PayPal. Une seule personne, une amie, me demande à la place un virement, ce que bien sûr on arrange.

Et là, patatra : les frais PayPal. J'avais oublié l'existence des frais PayPal. Bien sûr, les gens qui ne me connaissent pas ou qui ne connaissent pas bien PayPal, au moment de dire à PayPal si leur versement est un don d'argent ou l'achat d'un produit, déclarent qu'ils sont en train d'acheter un produit, ce qui est la simple vérité. Par conséquent, PayPal prélève une partie de leur versement - au titre de la TVA il me semble ? Pas sûre. Et c'est ainsi je commence à "perdre de l'argent" par rapport à ce que j'avais prévu : j'ai l'air bête et c'est ma joie.

Cela dit je ne me suis pas endettée pour acquérir le matériel dont on a parlé dans l'article d'avant non plus, donc je ne suis pas en danger de banqueroute ou quoi que ce soit ! De plus, certaines personnes m'ont versé plus que ce que j'ai demandé en me faisant en quelque sorte un "pourboire", soit pour m'encourager, soit pour protester contre le prix fixé qui leur paraissait trop petit. Ces largesses ont compensé les frais PayPal et font qu'aujourd'hui, j'ai reçu en tout dix euros de plus que ce que j'aurais reçu si tout le monde avait versé ce que j'ai demandé et qu'il n'y avait eu aucun frais PayPal.

"Communication"

On pourrait parler de publicité, on pourrait parler de marketing, on pourrait parler de beaucoup de choses, mais la vérité c'est que j'en ai fait très peu et que ça s'est limité à trouver une réponse à la question : comment présenter dans ses réseaux existants le fait qu'on a fabriqué un objet contenant notre art en tirage limité et qu'on cherche désormais à le vendre pour rembourser les frais d'impression, sans trembler des genoux ?

(Vous pouvez remplacer "pour rembourser les frais d'impression" par "parce qu'on pense que notre art a une valeur et qu'à défaut de revenu universel on aimerait que les gens valident notre légitimité à créer de l'art en nous donnant une quantité d'argent nous permettant de libérer quelques heures de ce qui aurait pu être du travail salarié pour nous permettre de créer plus d'art", mais dans mon cas il s'agissait surtout de rembourser des frais d'impression à une période un peu fragile financièrement).

En définitive c'est une question de confiance en soi et de personal branding. Je m'explique.

Confiance en soi : Pour ne pas trembler des genoux, il faut croire, réellement croire, que c'est OK de demander 2€ (+ frais de port) pour un livret fabriqué à la main contenant une nouvelle écrite par soi et quelques illustrations, que ce n'est pas indigne, et que les gens qui viendraient à penser que c'est indigne, que c'est trop, que c'est ridicule, n'auraient pas raison. Il faut que les phrases "j'ai le droit d'écrire de la fiction", "j'ai le droit d'imprimer ma propre fiction", "j'ai le droit de vendre les produits artisanaux que j'ai fabriqués moi-même" résonnent de façon juste, claire et certaine quand vous vous les dites, sinon ça risque de coincer.

Personal branding : Pour ne pas trembler des genoux, il faut ne pas avoir construit ses réseaux sociaux autour du fait que ce n'est jamais, absolument JAMAIS OK de demander 2€ (+ frais de port) pour un livret fabriqué à la main contenant une nouvelle écrite par soi et quelques illustrations, que c'est indigne, et que quiconque pense le contraire a tort, tort, tort. Si les gens qui vous connaissent vous connaissent pour cette prise de position, ça va être coton de leur expliquer la volte-face.

Le reste est du même acabit. J'ai fixé le prix du livret à 2€ en accord avec des valeurs personnelles après avoir fourni un travail pour calculer le coût de revient : je suis confortable pour débattre de la validité de ces valeurs personnelles et apte à présenter mon travail de calcul de coût de revient, donc je ne tremble pas des genoux. J'ai soutenu les projets d'autopublication d'amis et d'autres personnes et je trouve tout cet écosystème plus fascinant que les machines éditoriales, et j'en ai déjà parlé vite-fait autour de moi : je ne tremble pas des genoux quand je viens participer au mouvement avec ma propre nouvelle. Je participe depuis longtemps à un forum d'écriture et y suis connue comme une personne relativement sympathique même si parfois un peu embêtante : je ne tremble pas des genoux en ouvrant un topic pour parler du livret que j'autopublie.

Je n'ai pas réellement cherché à quitter une "zone de confort", à étendre la "zone de non-tremblement des genoux" où je me sentais à l'aise pour annoncer que les gens pouvaient acheter mon livret. Par exemple, je ne me suis pas offert de publicité sur Facebook et je n'ai pas ouvert un crowdfunding (même si l'outil crowdfunding sert aussi à faire parler de soi, je suis de l'avis que quand on a les moyens de sortir l'argent direct, on n'a pas besoin de faire une précommande !)

En dehors de mes propres cercles, j'ai bénéficié du bouche-à-oreille de quelques uns des lecteurs et lectrices, convaincu·es après lecture, qui m'ont fait la politesse de diffuser leur avis sur ma nouvelle sur leurs propres réseaux. Selon la taille du réseau et du tirage, ça peut suffire, mais c'est important de noter que ça a surtout marché sur les espaces où je participe activement à la vie sociale : Twitter oui, le forum des Jeunes Écrivain·e·s relativement oui, Facebook non.

Pour parler de ses sorties sur ses réseaux personnels, je pense quand même que ça ne mange pas de pain de faire un post qui semble un peu officiel. Voici celui que j'ai fait sur Twitter pour la première sortie de la solitude :

 Ce n'était pas un post très succinct et d'ailleurs je repère à l'instant un problème avec la disparition du "humble" dans l'expression "votre humble servante" qui rend la phrase très étrange hahaha. Mais il aborde de façon mi-formelle mi-ton de la conversation :

  1. De quoi je parle (je sors un livret imprimé)
  2. Comment commander le livret (si la personne est déjà opé)
  3. Un genre de quatrième de couverture
  4. Un peu de blabla sur pourquoi j'ai écrit ce texte et de quoi il parle au-delà de la mécanique de l'histoire (moins "c'est l'histoire d'un mec qui va au bar" et plus "c'est une nouvelle sur la difficulté de sortir de l'alcoolisme quand la consommation d'alcool articule l'entièreté de nos vies sociales")
  5. Un peu de blabla sur l'aspect artisanal car c'est la principale différence entre acheter l'exemplaire papier et lire la nouvelle en ligne gratuitement
  6. Le prix car c'est important (et ça va déterminer si les personnes intéressées peuvent se permettre la dépense ou pas).

J'ai parlé de ça après avoir réfléchi à ce dont j'avais envie de parler à propos de ce texte et de ce livret, et à ce que je pouvais défendre comme intéressant (ou du moins, m'intéressant). 

Par exemple, l'un des personnages importants de la solitude est une femme cloîtrée chez elle, mais ça ne m'intéressait pas de mettre en avant l'exploration de ce que peut signifier ce retrait du monde en milieu urbain occidental au XXIe siècle parce que je n'ai pas développé son point de vue de l'intérieur et puis trop mettre l'accent sur elle aurait pu faire croire que ce personnage était la protagoniste de la nouvelle alors que le protagoniste, c'est un homme qui la toise d'un regard extérieur et normatif pour la juger. 

J'ai mentionné le prix de vente parce qu'il le faut, mais je n'ai pas devisé sur le fait que j'ai choisi un "petit prix" pour permettre à "toutes les bourses" de se payer mon livret, parce qu'avec les frais de port le prix n'était plus vraiment petit... Et puis il n'aurait pas fallu que ça ressemble à une critique déguisée d'autres écrivains-imprimeurs, genre "moi, je fais le Vrai Prix, les autres font des Faux Prix qui sont Trop Chers". C'est faux. Personne ne fait de faux prix qui sont trop chers à ma connaissance, sauf à prendre l'argent sans livrer, ce qui est simplement de l'arnaque.

Dans mon document de réflexion sur ce que je pouvais/voulais mettre en avant pour la promotion du livret sur mes réseaux, il y avait beaucoup le terme "artisanal" ; si je ne me présente pas comme une artiste au sens large de "personne qui pratique un art", est-ce que je me présente comme artisane écrivaine-imprimeuse ? Je pensais le faire et en définitive ça ne transparaît pas du tout dans ma communication... 

... jusqu'à aujourd'hui. C'est vrai, qu'est-ce que cette série d'articles est à part un énorme publicommuniqué sur le fait que j'ai créé un livret et que vous pouvez vous le procurer pour la somme raisonnable de 2€, + frais de port, + frais bancaires, sur la boutique uTip ?

Après cette infâme trahison commerciale je comprendrais si vous ne vouliez pas acheter la solitude. De toute façon il ne reste que dix-sept exemplaires disponibles.

Blague à part, ce retour d'expérience était pour moi l'occasion d'apprendre de mes erreurs, j'espère qu'il vous aura permis :

  • De vous divertir, au moins ça
  • De voir à quoi ça peut ressembler comme quantité et étapes de taf de fabriquer un petit livret contenant vos écrits.

Pourquoi ce dernier point ? Parce que j'adore ces initiatives. Je crois sincèrement que ce serait chouette s'il y en avait encore plus. Du coup je vais rappeler l'existence de l'article de Lizzie Crowdagger sur les épaules de géante desquelles je me suis hissée pour faire mes propres livrets et qui est beaucoup plus précis techniquement, et vous quitter jusqu'à un prochain article !

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