La date de péremption des histoires

En réfléchissant à cet article, je me suis aperçu qu'il pouvait tromper la personne qui cliquerait sur le lien, alors je vais le dire tout de suite :

Cet article ne traite pas d'avancée de la science ou de l'histoire, ni même de Zeerust. (Un article avec de beaux exemples de Zeerust pourrait être écrit mais, soyons sérieux, qu'apporterait-il à l'entrée de TVTropes ?)

Cet article est un article d'écrivain qui se parle à lui-même. Si cette description vous fait déjà frissonner d'horreur, pas de souci, quitter la page est encore tout à fait envisageable.


"J'écris l'histoire d'un écrivain qui écrit une histoire !
Je suis trop edgy tavu."
A partir de quand nos projets créatifs personnels sont-ils datés ?
Les vôtres, je ne sais pas, mais j'avais envie de réfléchir aux miens : à trois d'entre eux en particulier.



Le bras de l'épée

En 2005, j'avais quatorze ans. Globalement désintéressée par la musique et le sport (à l'époque, c'étaient les deux groupes de loisirs socialement acceptables auxquels j'étais initiée), je passais beaucoup de temps à lire, un peu parfois à écrire.

Deux ans auparavant, une amie avait écrit une histoire inspirée par une BD, et ça m'avait fait un déclic complètement dingue - écrire de la fiction, écrire le genre d'histoire qu'on trouve dans les livres sur le traitement de texte qui me servait à rédiger des exposés, était une possibilité, était autorisé.

Mon premier essai était un plagiat complet du sien ; heureusement, j'ai abandonné cette pratique. Je crois. J'espère. L'essai suivant, de 2005 donc, fut un "roman" de fantasy bordélique qui parvenait à cumuler tous les clichés du genre bien que je n'aie lu que très peu de fantasy - ah, l'osmose culturelle.


L'héroïne ne ressemblait pas à ça et c'est dommage
parce qu'il faut être super badass pour accepter de poser sur une photo dans cette tenue.

Au fil des années, il est devenu évident que ce "premier roman" était irrécupérable. Pourtant, je persistais. Je prenais conscience des défauts de l'histoire et du style. Je faisais mieux. Mais je faisais mieux à la suite du moins bien. Comment rattraper l'histoire d'une jeune fille qui était destinée par une prophétie à mettre fin à la tyrannie d'un seigneur de guerre maléfique qui envahissait son pays et qui scorait 167 points au test de la Mary Sue ?

J'ai lâché l'affaire vers... avril 2010. Pour la première fois. J'ai tenté une réécriture vers décembre 2010 mais c'était une erreur. Cette histoire était un ramassis de clichés touchants de la part d'une adolescente, pas quelque chose à porter dans l'âge adulte. Elle était périmée.



Nos Amies les Bêtes

En 2008, j'avais dix-sept ans et j'ai eu une autre de ces révélations que tout le monde avait eues avant moi. Celle qu'on pouvait raconter des histoires avec du son. En faisant jouer des acteurs comme pour du théâtre mais enregistré. Et des effets spéciaux. Et des voix-off si besoin. J'étais rendue dingue ! Et j'ai évidemment commencé à rédiger mon propre scénario de fiction audio, mais comme j'avais mûri créativement on voyait un peu moins que j'avais pompé tout ce qu'il y avait dedans sur quelqu'un d'autre.

Et on a une charte graphique qui ne manque pas de caractère !

Ce scénario comporte des références à l'actualité de l'époque, 2008 donc, et des commentaires plus ou moins mollement engagés. Les épisodes comportant ces références ne sont pas encore sortis. Et ce commentaire n'était pas subtil. En fait, aucun des commentaires mollement engagés de l'histoire n'était subtil. Cette fiction audio est-elle périmée avant sa sortie parce 2008 est passé ? Parce que j'ai grandi ? Les deux ?



Mirage

Alors que je viens de mettre un point à la réécriture du chapitre 10 de Mirage, vieux marronnier du blāūg, je me souviens du jour d'été où j'en ai commencé l'écriture dans une sorte de fièvre.

Je voulais écrire l'anti-Nos Amies les Bêtes. Oh j'aimais bien Nos Amies les Bêtes, j'en étais même fière, mais ce scénario de fiction audio se composait uniquement de dialogues ; je voulais écrire de la narration. La base de Mirage, c'est que je voulais repousser le premier dialogue le plus loin possible, je voulais que l'histoire soit intéressante sans que le lecteur ressente l'envie de faire sauter son regard jusqu'au premier tiret cadratin.

Comme je le faisais à chaque fois à cette époque, j'ai laissé l'histoire se composer à mesure que j'écrivais et ai découvert quelque chose comme 24h avant mes lecteurs ce qui se tramait dans chaque chapitre. Ah oui, je ne l'ai pas mentionné : je publiais chaque chapitre dès qu'il était écrit sur un site. Du coup c'était mauvais, d'où ma décision de réécrire.

Le chaud jour d'été où Mirage a été créé remonte à 2010.
2010, c'était il y a six ans.
Est-ce une autre de ces situations où je m'accroche à un projet qui n'en vaut pas la peine, qui est périmé, pourri à la racine ?
Mais de quel type de péremption s'agirait-il ?

Bon déjà il y a des références à des choses bibliques dedans
ce qui veut dire qu'il est soit très daté soit intemporel
J'ai défini deux types de péremption, non ?

1] Une intrigue immature
2] Un commentaire d'une actualité qui a disparu

Pour le deuxième, j'ai de la chance, Mirage ne se passe pas dans un monde contemporain. Il n'y a donc pas de critiques, de commentaires, de remarques ou de sales blagues qui fassent référence à...
...
...
Je viens de me souvenir que le nom d'un des personnages est un jeu de mots tiré par les cheveux sur le nom du ministre de l'Intérieur du gouvernement précédent. Je. Pourquoi. Je ne sais plus. Je ne sais vraiment plus. J'avais dix-neuf ans. Ça se voit à peine.

C'est surtout le premier point qui m'a fait prendre du recul sur le bouzin. De gros morceaux du récit reposaient sur des visions puériles et clichées du crime organisé/de la mendicité/de la pauvreté, des flash-back inintéressants, un voyage mal placé "parce que l'intrigue l'exige", et une romance forcée entre personnages principaux. Les personnages souffraient aussi souvent des "rôles" qui leur étaient attribués au détriment d'une personnalité.

Du coup, en 2013, j'ai tout balancé à la poubelle sauf la partie 1 et certaines idées de la partie 5.

Puis-je vraiment reconstruire un roman sur 27% de restes de l'ancien ?

Je crois quand même que ça en vaut la peine. Je crois que tous ces remaniements sont au service de ce que je veux dire, de ce que je veux transmettre. Oh, je sais bien qu'il ne faut pas écrire de fiction exprès pour passer un message - il y aurait tout un article à écrire sur ce sujet - je ne parle ici que de thèmes et de philosophies qui me tiennent à cœur, pas de pamphlets politiques.

Et puis ce n'est pas comme si ça gênait qui que ce soit : écrire est personnel. Écrire ne creuse pas de tranchées dans la voie publique et n'enlève pas le pain de la bouche des enfants.

Alors je suppose que persister sur un vieux projet est une attitude inoffensive.

En revanche, écrire des articles sur le sujet utilise de la bande passante et devrait sans doute être puni.

Commentaires

  1. C'est un vrai thème ça, les projets qui périment. En fait, cet article me fait réaliser que c'est un phénomène potentiellement intéressant à étudier en profondeur dans ses mécanismes. On pourrait faire un sondage et demander à des gens créatifs s'ils peuvent nous parler de leurs projets périmés, en axant l'étude autour de quelques questions : pourquoi un projet périme ? Est-ce qu'il y a des causes qui reviennent régulièrement dans ces projets ? Qu'étaient censés représenter/accomplir ces projets à la base ? Y a-t-il quelque chose que l'on peut faire contre cette péremption dans la façon de concevoir le projet même ? Quelles sont les façons de récupérer un projet périmé ?
    Vas-y j'ai presque envie d'écrire un article sur le sujet du coup. XD

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    1. Bah bah bah oui du coup vas-y écris des articles :o

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  2. 73% de Mirage étaient périmés ? Tu es sûre ? Sinon, j'aime beaucoup ta conclusion "Et puis ce n'est pas comme si ça gênait qui que ce soit : écrire est personnel. Écrire ne creuse pas de tranchées dans la voie publique et n'enlève pas le pain de la bouche des enfants."

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    1. Il y avait cinq parties qui pèsent chacune 20%. La première était à peu près sauvable. La seconde à jeter. La troisième aussi. La quatrième n'avait plus de sens sans la seconde et la troisième. Et la cinquième perdait beaucoup, beaucoup d'appui sans les trois précédentes. Donc on jette 20% de partie 2, 20% de partie 3, 20% de partie 4, et 13% de partie 5. 73%.

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