« Bon courage » – Mort de l'empathie et train de pensée de la vie quotidienne à Paris, traduction d'un texte de Lia du blog Erreur 404
Lia, autrice du blog Erreur 404, y a publié un article très récemment. Cet article m'a touchée, et j'ai ressenti le besoin de le traduire en français. Lia est francophone mais en ce moment elle n'écrit qu'en anglais ; je me suis demandé combien de francophones non-anglophones risquaient de passer à côté de son article, auquel ils pourraient pourtant s'identifier, et ça m'a convaincue de me mettre à l'ouvrage. Le texte original est ici.
Aujourd'hui j'ai eu de la chance. J'ai passé moins de trois heures dans les transports en commun. Je n'ai pas attendu plus de trois minutes les métro, métro, train.
J'ai pu rentrer dans tous les métros qui sont arrivés. J'ai même réussi à me réserver un siège la plupart du temps. Mince, le dernier métro que j'ai pris était presque vide : j'avais assez de place pour bouger sans toucher personne !
C'était un jour de chance vis-à-vis des Fantômes, aussi : je n'ai croisé que 8 mendiants sur mon chemin. Seulement deux réfugiés syriens agitant leur passeport devant moi, parlant une langue que je ne pouvais pas comprendre, au milieu du couloir. Seulement un gars et son chien marchant à travers la voiture du métro, expliquant comment il ne gagne pas assez d'argent pour payer un appartement, comment les services sociaux ne lui donnent pas d'appartement parce qu'il refuse d'abandonner son chien, quelqu'un peut-il l'héberger, ou juste lui offrir à manger.
Je n'avais rien à manger. Je l'aurais bien accueilli. Mais non. Parce que les histoires horribles. Parce que le sensationnalisme des médias. Cette générosité vous tue, dans les journaux. Parce que... Je n'ai rien dit du tout. Même pas bonjour. L'ai pas regardé. Continué à lire des trucs en anglais, comme si je n'avais pas compris un mot parce que je ne suis pas française, je ne comprends pas, ne me prêtez pas attention. C'est toujours la meilleure excuse. Enfile ton meilleur accent et dis « sorry I don't understand. »
Mais la meilleure excuse est toujours de ne pas lever les yeux. Oublie. Oublie. Oublie.
Seulement quatre personnes dormaient dans les stations de métro aujourd'hui. L'une buvait et jetait des injures à la ronde. Une femme (poussée à la folie ?) a insulté chacun des passagers du train ce matin. Elle nous a taillé un costard à tous un par un. On le méritait. Elle a maudit la société, proclamé un grand discours, puis est partie.
Après un certain temps à faire les mêmes 3 heures de trajet chaque jour, les mendiants deviennent des Fantômes dans ma tête.
Je les vois sans les voir. Je sais qu'ils sont là – mais ils n'existent plus.
Et ça m'épuise, ça me crève le coeur. Mon empathie me plante, pour qui tu te prends ? Ils cherchent à survivre, mais ils sont déjà morts dans les yeux des gens qui les ignorent – je fais partie de ces gens, coupables de les effacer de l'existence tour à tour.
Et que puis-je y faire ? Je poursuis mon chemin. Ne regarde pas. Oublie.
Parfois je rencontre plus de vingt Fantômes en une journée.
Je me force à ne pas les regarder.
Ça me fait mal.
Rien de comparable au mal que ça leur fait. Je ne peux même pas le concevoir.
Arrête de compatir pour les gens. Ça n'amène à rien. Compatir ne t'apporte que blessure et douleur. Tu ne peux pas sauver tout le monde. Sauve-toi d'abord.
Est-ce que je veux même être sauvée dans un endroit où les gens ont abandonné leur humanité.
J'ai de la chance. J'ai beaucoup de chance.
Je n'habite pas à Paris même, mais juste en-dessous, dans le Sud, sous le 13e arrondissement, à la porte de la ville. Ce n'est plus Paris. L'atmosphère est différente, plus familiale, mince, on entend même des oiseaux chanter parfois et on attrape un peu de vert depuis nos fenêtres.
Alors peut-être que ça sent le hashish partout parce que les gens ne peuvent plus vivre dans ce monde et se tournent vers la drogue pour le rendre davantage tolérable.
Alors peut-être que l'odeur me rend physiquement malade parce que c'est comme ça que mon asthme a décidé de me rendre.
J'ai beaucoup de chance. Je ne travaille pas dans Paris.
Je travaille juste à côté de Disneyland (Wonderland, ô, l'ironie !) et c'est un endroit chouette, superficiel, artificiel avec un grand centre commercial et des boutiques chères et des tas de touristes qui sont vraiment heureux d'être là et très, très loin de Paris. Regardez sur une carte. Ce n'est même pas dans le même département. C'est loin.
Ça me prend beaucoup de temps mais j'ai de la chance. J'ai beaucoup de chance. Je ne travaille pas dans Paris, je ne vis pas dans Paris, je dois seulement traverser Paris chaque matin, tous les matins, trois heures par jour, deux métros, un train, et tout se passe bien.
Aussi bien que ça peut se passer.
Couloirs, stations, plus de couloirs. Escaliers mécaniques. Escaliers non-mécaniques. Paris se fout des personnes handicapées, tant pis pour vous si vous ne pouvez pas prendre les escaliers. Mon genou gauche est un peu patraque, j'ai la phobie de tomber dans les escaliers, mais je reste dans le rang. C'est un flux, un flux éternel. Rentre dans le flux, suis le flux. Prie pour que le flux aille dans l'autre sens, le chemin que tu ne prends pas, l'autre destination, pour qu'il y ait assez de place pour toi dans le prochain train – celui où les gens ne sont pas allés.
Parfois tu dois rester debout et regarder deux, trois trains passer avant de pouvoir y rentrer.
C'est marrant, du temps où j'étais moitié à Paris, moitié à Lyon, il y avait cet horrible sentiment qui s'emparait de moi chaque fois que j'approchais la cité. Premiers bâtiments et la revoilà, la bulle d'angoisse, qui enfle, qui enfle. Exactement comme quand je sens les attaques de panique monter la nuit et que je me dis « oh, il est minuit », et il est effectivement minuit. Mon corps en sait plus que moi. Mon corps reconnaît Paris. Je ne fais que regarder par-dessus ma propre épaule, comme dans un de ces jeux à la troisième personne.
Nation, annonce le métro, et il y a cette grande bourrasque d'air froid dans la station, et ensuite je prends le train, et c'est presque un soulagement, et je ne suis pas fâchée d'aller au travail parce que c'est un chouette endroit, il fait chaud dans mon bureau, tout est artificiel, il y a tant de touristes – tant de gens effectivement heureux d'être ici, même si c'est pour être leurés par les lumières de Disneyland. Val d'Europe, je sors, et j'aurais apprécié de rester dans le train un peu plus, pour finir de lire cette fanfiction ou parler avec quelqu'un, mais tout ira bien, tout ira bien, tout ira bien.
Les jours de travail sont des jours de travail. Ils peuvent être intéressants, surprenants ; la plupart du temps ils sont fades. Il y a de quoi sourire et beaucoup de raisons de ne pas. Tu persévères, tu accomplis les tâches, tu essaies de ne pas procrastiner – souvent tu échoues. Mon téléphone reste dans mon sac histoire de ne pas être distraite, mais je prends des pauses où je papote avec des gens.
Les jours de travail sont des jours de travail. Tu as des managers et ils ne sont pas tous d'accord et les instructions vont dans tous les sens. Parfois la pression est trop forte. Parfois je laisse tomber ma tête sur le bureau et je pleure un bon coup. Tout va bien. On fait tous ça, pas vrai ? Est-ce que ça existe de toute façon, un environnement de travail sain ? Je ne devrais pas me plaindre. Au moins je ne travaille que quarante heures par semaine ? Au moins je gagne de l'argent avec. Eh, j'ai un travail stable, et certains de mes collègues sont gentils. Je ne devrais pas me plaindre. J'ai de la chance.
Et quand vient l'heure du départ, je pars toujours tard. Finis cette tâche, fais ci ou ça, fais-toi virer par l'agent qui veut fermer le bâtiment parce que peut-être que j'étais trop à fond sur mon travail soudain, ou peut-être que je me suis évanouie et endormie sur le clavier mais c'est normal, ça arrive, j'en ai juste marre, mon médecin m'aide. Peut-être que je procrastine de me taper l'heure et demie de trajet qui m'attend. Peut-être que j'essaie de rassembler mes forces pour rentrer à la maison.
Et plus je pars tard et pire ça devient. Ne pars pas après 19h, c'est quand la parade de Disneyland finit et quand les touristes débordent. Les touristes si mignons, si pleins d'entrain, si trop heureux deviennent cacophoniques ; ils sont agités et mes sens sont surchargés. La musique retentissante des gens qui regardent les vidéos qu'ils ont filmées. Des enfants pleurent. Des gens rient.
Au moins ils sont heureux et je ne peux pas leur enlever ça, je serais heureuse aussi à leur place, laisse-les être heureux.
Concentre-toi sur la fanfiction. Concentre-toi sur Discord. Concentre-toi sur autre chose.
Tant que mon téléphone est dans mes mains, ça va ?
Et puis arrive :
Vincennes
Le train y est revenu, à la lisière de Paris. Je n'ai même pas besoin de l'annonce, je le sais, parce que la bulle est de retour dans ma poitrine, et c'est le moment où je sais, c'est le moment où je me demande si quelqu'un remarquera cette fille (femme, tu as 29 ans) qui prend sa pilule rose, la laisse fondre dans sa bouche avec une grimace, parce que c'est si amer que ça fait mal, et c'est reparti pour la ville, reparti pour le flux.
Revoilà les couloirs. Et Nation, et je me demande si quelqu'un remarquera cette fille (femme) qui aggripe le bord de l'escalier mécanique désesperemment parce que ses genoux l'ont abandonnée à cause de l'angoisse et de la pression physique (p'têt que j'ai des problèmes avec la pression dans tous les sens du terme. P'têt que mes oreilles ont des problèmes. Je ne sais pas), mais elle ne peut pas tomber, pas maintenant, pas au milieu des escaliers mécaniques. Des gens seraient blessés, et il n'y a pas moyen qu'elle tombe dans les couloirs du métro.
Elle ne deviendra pas un autre malaise voyageur. Pas une autre annonce au haut-parleur dans les couloirs.
Sors de l'escalier mécanique et bouge.
Des pubs géantes pour des séries que je ne verrai jamais ; des pubs géantes pour des expositions que j'adorerais voir mais probablement pas parce qu'il n'y a pas d'énergie pour ça le week-end. Des pubs géantes pour des bijoux très chers – ils ont sorti des bijoux de luxe sur l'art de Van Gogh dernièrement. Ça me met en colère. Van Gogh est mort pauvre et oublié. Et maintenant une bague avec un morceau de sa Nuit Étoilée dessus coûte 500€.
Marrant comme la vie n'est jamais juste pour les artistes.
Éprouver des sentiments est un travail à plein temps mais il ne paie pas bien.
Et il y a la vague, cet étrange bruit de vague. C'est le roulement des escaliers mécaniques. C'est le battement de mon coeur. C'est énorme et bouleversant, c'est comme nager dans un immense océan et tenter de suivre la vague. Bouge.
bouge
Les gens vont dans toutes les directions – suis le flux.
Tant de lignes de métro – tant de gens.
Des mendiants à nouveau – ne regarde pas.
Et c'est extraordinaire comme personne ne remarque les gens qui pleurent – tout le monde les remarque – personne ne remarque. Ça va, et ça vient. Est–ce qu'il se passe un jour sans que personne ne pète les plombs dans les transports en commun ? La ville est immense et pleine de drames. Le trauma des uns n'est que le vague ennui des autres, et vice-versa.
Des gens hurlent dans leur téléphone. D'autres font rouler leurs valises sur le sol sale et inégal.
Regarde vers le bas. Tu ne sais jamais sur quoi tu peux marcher.
Regarde vers le bas.
Et ça continue, le flux, et là il y a un métro, et il est bondé, et comment sortir, et les mots sont en bordel dans ma tête, des mots que je ne peux pas écrire parce que je ne garde pas mon téléphone à la main dans les transports – trop facile à voler. J'ai mon propre narrateur, décrivant tout ce que je vois, entends, ressens, et même si j'avais mon clavier sous la main je ne pourrais pas tout écrire parce que ça va si vite.
Oublie le narrateur, oublie les sensations, concentre–toi sur le vide, prends une autre pilule rose et deviens stupide.
Et je te jure que si j'entends encore une fois ces annonces, ce sinistre, dystopique « Pour votre sécurité... » qui rebondit en écho à travers la station de métro, je te jure que si je l'entends encore une fois...
... Tu vas faire quoi ?
La sécurité, la sûreté comme excuse de merde. Voir des gens porter des fusils dans mon trajet quotidien domicile-travail ne fait rien pour ma sécurité. Ça me flingue, c'est tout.
Deviens stupide.
Parfois les gens s'insultent, parce qu'ils sont fatigués, parce qu'ils sont tendus, parce qu'ils sont des connards, parce que quelqu'un a accidentellement tapé l'autre en marchant. Parfois ils s'ignorent. La plupart du temps – ne regarde pas vers le haut. Ne croise pas de regard. N'écoute pas. Avale ce goût amer.
Deviens stupide. Concentre-toi sur autre chose, sur ta source d'évasion du moment, sur n'importe quoi. C'est un mensonge. Ce n'est pas réel.
Et pourtant je regarde tout, par-dessus mon épaule, juste là, comme la spectatrice d'un spectacle absurde, un jet continu de folie, et c'est bondé comme une immense ruche, et ça continue encore, et encore, un bourdonnement sans fin, et je sens mon corps sourire. C'est le sourire le plus faible, le plus fatigué, celui qui se contente d'admettre que rien de tout ça n'a de sens. C'est le sourire des paumés, paumés au milieu de la ruche, de la vague que je suis.
Tentant désesperemment de ne pas être écrasée.
Et ça n'est plus humain. Ne regarde pas, ne ris pas – parfois c'est si idiot que je pourrais rire. Une fois c'était si absurde que j'ai commencé à rire. D'autres gens ont commencé à rire aussi. C'était l'un de ces moments rares et précieux où les gens se sont juste mis à... être. Les gens étaient. Les gens voyaient. Ça fait mal d'ouvrir ses yeux et de se rendre compte de l'absurdité de tout ça, ça fait si mal que tu ne peux que rire ou pleurer – autant rire.
Et puis le moment a fini.
Ne ris pas. Parfois tu peux sourire. Et tu as l'air folle, même à tes yeux. Même pour la moi sur mon épaule. Et je ne ressens rien, rien que la conviction que tout ça n'a aucun sens, et que nous avons perdu tout ce qui faisait de nous ce que nous sommes.
« Pour votre sécurité… »
Et puis finalement, après un métro particulièrement plein, après les gens qui se plaignent, et celui qui dit on peut rentrer plus de gens, et l'autre qui dit je n'ai pas le temps je vais voir mon père à l'hôpital et les gens qui ignorent le vacarme, qui ignorent ceux qui ont pété les plombs et s'agressent, après 210 secondes que j'ai comptées – parce que le métro est si bondé que je ne pouvais pas sortir mon téléphone, il aurait été volé (Pour votre sécurité...), donc il faut que je me concentre sur quelque chose, donc je compte les secondes, et ça fait seulement 210 secondes, mais de très longues 210 secondes, c'est finalement mon arrêt. Et puis le flux sort, tant de gens à la fois, emplissant les escaliers.
Et il est 18h59 et la boulangerie dehors ferme à 19h et est-ce que je peux encore acheter quelque chose ? Bien sûr que je peux, et au lieu d'acheter une baguette je finis par acheter des tas de pâtisseries juste pour le plaisir d'acheter de la bouffe qui claque. Juste parce que dépenser de l'argent me fait ressentir quelque chose. Ou plutôt, l'idée de dépenser de l'argent pour cette odeur délicieuse (dont je sais qu'elle est fausse, on sait tous qu'elle est artificielle, l'odeur sur le perron de la boulangerie, elle n'est là que pour t'attirer à l'intérieur, et ça marche) me fait ressentir quelque chose. Et le travail que j'endure, et ces stupides heures perdues en transport, paraissent acquérir un sens nouveau quand l'argent en plus que j'en tire peut être dépensé. Je hais ça. Je hais le fait que je suis si facile à acheter, une pétasse en plus dans une société qui produit des pétasses à la chaîne.
Peut-être que demain j'arriverai à me réveiller sans pleurer à cause d'encore un rêve de travail, à la place je pourrais m'enthousiasmer pour ces délicieuses pâtisseries.
Sans doute pas. Je me réveille toujours en pleurant.
Mais ça va. J'ai de la chance d'avoir ce travail qui me permet de m'acheter les pâtisseries. Et je paie et c'est chouette et on se dit des « Merci » et des sourires forcés et des « Bonne soirée » et puis on s'en repart.
Et puis un, sourire sincère, celui qui accompagne « Bon courage. » Et je me rends compte que je le dis de plus en plus, aux vendeurs, aux collègues, à la femme de ménage, à mon colocataire, à tout le monde. Ce n'est plus « Bonne journée. » C'est garde la force. Garde la foi. Bon courage. Et c'est le plus sincère et ça me rappelle mes jours comme Opératrice à Disneyland, quand les gens ne me voyaient jamais, sauf ceux qui voyaient et comprenaient, ceux qui me souhaitaient sincèrement de tenir le coup.
Tiens le coup. Bon courage. C'est devenu une mode dans cette ville, ça fait partie intégrante de la langue française maintenant, et c'est la chose la plus sincère à souhaiter, pour montrer que même quand tu regardes vers le bas, même quand tu noies tes émotions dans le Xanax, même quand tu as arrêté de t'en soucier si fort que tu ne regardes le monde qu'à travers ta fenêtre intérieure en gardant cet étrange petit-sourire-fatigué-du-métro-pourquoi-est-ce-qu'elle-sourit-celle-là, tu en as suffisamment quelque chose à foutre pour souhaiter bon courage.
J'espère que ces mots ne deviendront jamais une expression courante. J'espère qu'ils garderont toujours leur sens profond, ce voeu de force, parce qu'on sait tous à quel point c'est dur et la force qu'il faut.
Et c'est probablement la même chose dans toutes les grandes villes occidentales, mais c'est épuisant, et c'est pour ça que je fais ça, et qu'est-ce que je pourrais faire d'autre, et quand je rentre à la maison je suis épuisée et mon coloc essaie de me parler parce que c'était aussi Une De Ces Journées et qu'il faut en parler, et je me sentirai mal et j'aurai besoin de me reposer, parce que c'est épuisant.
Et demain je me réveillerai en pleurant mais j'aurai de délicieuses pâtisseries et peut-être que je serai en retard ou peut-être pas et peut-être que j'aurai de la chance et qu'il n'y aura aucun problème et que ça ne me prendra qu'une heure et quart pour aller au boulot et peut-être qu'il y aura le gars avec l'accordéon qui joue Ave Maria à Place d'Italie et peut-être qu'il n'y aura que quatre mendiants cette fois. Et puis je lirai et je me sentirai mal et noyée dans le Xanax – encore une fois, je me fous de ce que je ressens tant que je ne ressens rien du tout, mais c'est impossible. Et peut-être que j'aiderai les étudiants et peut-être que je haïrai les étudiants et sans doute que les étudiants me haïront et tout peut arriver et puis je verrai mes collègues et on se souhaitera bon courage.
Parce que c'est ce qu'il faut maintenant. C'est comme ça qu'on vit. Une ruche où les yeux ne se rencontrent pas et les gens deviennent des vagues et parfois, juste parfois, tu vois quelqu'un. Et ça fait mal. Parce que tu te rends compte que c'est quelqu'un.
Quelqu'un comme toi.
Parfois tu brises le flux.
Parfois tu ressens des choses.
Et tu as besoin de la force.
Tu as besoin de bon courage.
« Bon courage » – Mort de l'empathie et train de pensée de la vie quotidienne à Paris
Par Lia
Traduction depuis l'anglais par @now@n
Aujourd'hui j'ai eu de la chance. J'ai passé moins de trois heures dans les transports en commun. Je n'ai pas attendu plus de trois minutes les métro, métro, train.
J'ai pu rentrer dans tous les métros qui sont arrivés. J'ai même réussi à me réserver un siège la plupart du temps. Mince, le dernier métro que j'ai pris était presque vide : j'avais assez de place pour bouger sans toucher personne !
C'était un jour de chance vis-à-vis des Fantômes, aussi : je n'ai croisé que 8 mendiants sur mon chemin. Seulement deux réfugiés syriens agitant leur passeport devant moi, parlant une langue que je ne pouvais pas comprendre, au milieu du couloir. Seulement un gars et son chien marchant à travers la voiture du métro, expliquant comment il ne gagne pas assez d'argent pour payer un appartement, comment les services sociaux ne lui donnent pas d'appartement parce qu'il refuse d'abandonner son chien, quelqu'un peut-il l'héberger, ou juste lui offrir à manger.
Je n'avais rien à manger. Je l'aurais bien accueilli. Mais non. Parce que les histoires horribles. Parce que le sensationnalisme des médias. Cette générosité vous tue, dans les journaux. Parce que... Je n'ai rien dit du tout. Même pas bonjour. L'ai pas regardé. Continué à lire des trucs en anglais, comme si je n'avais pas compris un mot parce que je ne suis pas française, je ne comprends pas, ne me prêtez pas attention. C'est toujours la meilleure excuse. Enfile ton meilleur accent et dis « sorry I don't understand. »
Mais la meilleure excuse est toujours de ne pas lever les yeux. Oublie. Oublie. Oublie.
Seulement quatre personnes dormaient dans les stations de métro aujourd'hui. L'une buvait et jetait des injures à la ronde. Une femme (poussée à la folie ?) a insulté chacun des passagers du train ce matin. Elle nous a taillé un costard à tous un par un. On le méritait. Elle a maudit la société, proclamé un grand discours, puis est partie.
Après un certain temps à faire les mêmes 3 heures de trajet chaque jour, les mendiants deviennent des Fantômes dans ma tête.
Je les vois sans les voir. Je sais qu'ils sont là – mais ils n'existent plus.
Et ça m'épuise, ça me crève le coeur. Mon empathie me plante, pour qui tu te prends ? Ils cherchent à survivre, mais ils sont déjà morts dans les yeux des gens qui les ignorent – je fais partie de ces gens, coupables de les effacer de l'existence tour à tour.
Et que puis-je y faire ? Je poursuis mon chemin. Ne regarde pas. Oublie.
Parfois je rencontre plus de vingt Fantômes en une journée.
Je me force à ne pas les regarder.
Ça me fait mal.
Rien de comparable au mal que ça leur fait. Je ne peux même pas le concevoir.
Arrête de compatir pour les gens. Ça n'amène à rien. Compatir ne t'apporte que blessure et douleur. Tu ne peux pas sauver tout le monde. Sauve-toi d'abord.
Est-ce que je veux même être sauvée dans un endroit où les gens ont abandonné leur humanité.
J'ai de la chance. J'ai beaucoup de chance.
Je n'habite pas à Paris même, mais juste en-dessous, dans le Sud, sous le 13e arrondissement, à la porte de la ville. Ce n'est plus Paris. L'atmosphère est différente, plus familiale, mince, on entend même des oiseaux chanter parfois et on attrape un peu de vert depuis nos fenêtres.
Alors peut-être que ça sent le hashish partout parce que les gens ne peuvent plus vivre dans ce monde et se tournent vers la drogue pour le rendre davantage tolérable.
Alors peut-être que l'odeur me rend physiquement malade parce que c'est comme ça que mon asthme a décidé de me rendre.
J'ai beaucoup de chance. Je ne travaille pas dans Paris.
Je travaille juste à côté de Disneyland (Wonderland, ô, l'ironie !) et c'est un endroit chouette, superficiel, artificiel avec un grand centre commercial et des boutiques chères et des tas de touristes qui sont vraiment heureux d'être là et très, très loin de Paris. Regardez sur une carte. Ce n'est même pas dans le même département. C'est loin.
Ça me prend beaucoup de temps mais j'ai de la chance. J'ai beaucoup de chance. Je ne travaille pas dans Paris, je ne vis pas dans Paris, je dois seulement traverser Paris chaque matin, tous les matins, trois heures par jour, deux métros, un train, et tout se passe bien.
Aussi bien que ça peut se passer.
Couloirs, stations, plus de couloirs. Escaliers mécaniques. Escaliers non-mécaniques. Paris se fout des personnes handicapées, tant pis pour vous si vous ne pouvez pas prendre les escaliers. Mon genou gauche est un peu patraque, j'ai la phobie de tomber dans les escaliers, mais je reste dans le rang. C'est un flux, un flux éternel. Rentre dans le flux, suis le flux. Prie pour que le flux aille dans l'autre sens, le chemin que tu ne prends pas, l'autre destination, pour qu'il y ait assez de place pour toi dans le prochain train – celui où les gens ne sont pas allés.
Parfois tu dois rester debout et regarder deux, trois trains passer avant de pouvoir y rentrer.
C'est marrant, du temps où j'étais moitié à Paris, moitié à Lyon, il y avait cet horrible sentiment qui s'emparait de moi chaque fois que j'approchais la cité. Premiers bâtiments et la revoilà, la bulle d'angoisse, qui enfle, qui enfle. Exactement comme quand je sens les attaques de panique monter la nuit et que je me dis « oh, il est minuit », et il est effectivement minuit. Mon corps en sait plus que moi. Mon corps reconnaît Paris. Je ne fais que regarder par-dessus ma propre épaule, comme dans un de ces jeux à la troisième personne.
Nation, annonce le métro, et il y a cette grande bourrasque d'air froid dans la station, et ensuite je prends le train, et c'est presque un soulagement, et je ne suis pas fâchée d'aller au travail parce que c'est un chouette endroit, il fait chaud dans mon bureau, tout est artificiel, il y a tant de touristes – tant de gens effectivement heureux d'être ici, même si c'est pour être leurés par les lumières de Disneyland. Val d'Europe, je sors, et j'aurais apprécié de rester dans le train un peu plus, pour finir de lire cette fanfiction ou parler avec quelqu'un, mais tout ira bien, tout ira bien, tout ira bien.
Les jours de travail sont des jours de travail. Ils peuvent être intéressants, surprenants ; la plupart du temps ils sont fades. Il y a de quoi sourire et beaucoup de raisons de ne pas. Tu persévères, tu accomplis les tâches, tu essaies de ne pas procrastiner – souvent tu échoues. Mon téléphone reste dans mon sac histoire de ne pas être distraite, mais je prends des pauses où je papote avec des gens.
Les jours de travail sont des jours de travail. Tu as des managers et ils ne sont pas tous d'accord et les instructions vont dans tous les sens. Parfois la pression est trop forte. Parfois je laisse tomber ma tête sur le bureau et je pleure un bon coup. Tout va bien. On fait tous ça, pas vrai ? Est-ce que ça existe de toute façon, un environnement de travail sain ? Je ne devrais pas me plaindre. Au moins je ne travaille que quarante heures par semaine ? Au moins je gagne de l'argent avec. Eh, j'ai un travail stable, et certains de mes collègues sont gentils. Je ne devrais pas me plaindre. J'ai de la chance.
Et quand vient l'heure du départ, je pars toujours tard. Finis cette tâche, fais ci ou ça, fais-toi virer par l'agent qui veut fermer le bâtiment parce que peut-être que j'étais trop à fond sur mon travail soudain, ou peut-être que je me suis évanouie et endormie sur le clavier mais c'est normal, ça arrive, j'en ai juste marre, mon médecin m'aide. Peut-être que je procrastine de me taper l'heure et demie de trajet qui m'attend. Peut-être que j'essaie de rassembler mes forces pour rentrer à la maison.
Et plus je pars tard et pire ça devient. Ne pars pas après 19h, c'est quand la parade de Disneyland finit et quand les touristes débordent. Les touristes si mignons, si pleins d'entrain, si trop heureux deviennent cacophoniques ; ils sont agités et mes sens sont surchargés. La musique retentissante des gens qui regardent les vidéos qu'ils ont filmées. Des enfants pleurent. Des gens rient.
Au moins ils sont heureux et je ne peux pas leur enlever ça, je serais heureuse aussi à leur place, laisse-les être heureux.
Concentre-toi sur la fanfiction. Concentre-toi sur Discord. Concentre-toi sur autre chose.
Tant que mon téléphone est dans mes mains, ça va ?
Et puis arrive :
Vincennes
Le train y est revenu, à la lisière de Paris. Je n'ai même pas besoin de l'annonce, je le sais, parce que la bulle est de retour dans ma poitrine, et c'est le moment où je sais, c'est le moment où je me demande si quelqu'un remarquera cette fille (femme, tu as 29 ans) qui prend sa pilule rose, la laisse fondre dans sa bouche avec une grimace, parce que c'est si amer que ça fait mal, et c'est reparti pour la ville, reparti pour le flux.
Revoilà les couloirs. Et Nation, et je me demande si quelqu'un remarquera cette fille (femme) qui aggripe le bord de l'escalier mécanique désesperemment parce que ses genoux l'ont abandonnée à cause de l'angoisse et de la pression physique (p'têt que j'ai des problèmes avec la pression dans tous les sens du terme. P'têt que mes oreilles ont des problèmes. Je ne sais pas), mais elle ne peut pas tomber, pas maintenant, pas au milieu des escaliers mécaniques. Des gens seraient blessés, et il n'y a pas moyen qu'elle tombe dans les couloirs du métro.
Elle ne deviendra pas un autre malaise voyageur. Pas une autre annonce au haut-parleur dans les couloirs.
Sors de l'escalier mécanique et bouge.
Des pubs géantes pour des séries que je ne verrai jamais ; des pubs géantes pour des expositions que j'adorerais voir mais probablement pas parce qu'il n'y a pas d'énergie pour ça le week-end. Des pubs géantes pour des bijoux très chers – ils ont sorti des bijoux de luxe sur l'art de Van Gogh dernièrement. Ça me met en colère. Van Gogh est mort pauvre et oublié. Et maintenant une bague avec un morceau de sa Nuit Étoilée dessus coûte 500€.
Marrant comme la vie n'est jamais juste pour les artistes.
Éprouver des sentiments est un travail à plein temps mais il ne paie pas bien.
Et il y a la vague, cet étrange bruit de vague. C'est le roulement des escaliers mécaniques. C'est le battement de mon coeur. C'est énorme et bouleversant, c'est comme nager dans un immense océan et tenter de suivre la vague. Bouge.
bouge
Les gens vont dans toutes les directions – suis le flux.
Tant de lignes de métro – tant de gens.
Des mendiants à nouveau – ne regarde pas.
Et c'est extraordinaire comme personne ne remarque les gens qui pleurent – tout le monde les remarque – personne ne remarque. Ça va, et ça vient. Est–ce qu'il se passe un jour sans que personne ne pète les plombs dans les transports en commun ? La ville est immense et pleine de drames. Le trauma des uns n'est que le vague ennui des autres, et vice-versa.
Des gens hurlent dans leur téléphone. D'autres font rouler leurs valises sur le sol sale et inégal.
Regarde vers le bas. Tu ne sais jamais sur quoi tu peux marcher.
Regarde vers le bas.
Et ça continue, le flux, et là il y a un métro, et il est bondé, et comment sortir, et les mots sont en bordel dans ma tête, des mots que je ne peux pas écrire parce que je ne garde pas mon téléphone à la main dans les transports – trop facile à voler. J'ai mon propre narrateur, décrivant tout ce que je vois, entends, ressens, et même si j'avais mon clavier sous la main je ne pourrais pas tout écrire parce que ça va si vite.
Oublie le narrateur, oublie les sensations, concentre–toi sur le vide, prends une autre pilule rose et deviens stupide.
Et je te jure que si j'entends encore une fois ces annonces, ce sinistre, dystopique « Pour votre sécurité... » qui rebondit en écho à travers la station de métro, je te jure que si je l'entends encore une fois...
... Tu vas faire quoi ?
La sécurité, la sûreté comme excuse de merde. Voir des gens porter des fusils dans mon trajet quotidien domicile-travail ne fait rien pour ma sécurité. Ça me flingue, c'est tout.
Deviens stupide.
Parfois les gens s'insultent, parce qu'ils sont fatigués, parce qu'ils sont tendus, parce qu'ils sont des connards, parce que quelqu'un a accidentellement tapé l'autre en marchant. Parfois ils s'ignorent. La plupart du temps – ne regarde pas vers le haut. Ne croise pas de regard. N'écoute pas. Avale ce goût amer.
Deviens stupide. Concentre-toi sur autre chose, sur ta source d'évasion du moment, sur n'importe quoi. C'est un mensonge. Ce n'est pas réel.
Et pourtant je regarde tout, par-dessus mon épaule, juste là, comme la spectatrice d'un spectacle absurde, un jet continu de folie, et c'est bondé comme une immense ruche, et ça continue encore, et encore, un bourdonnement sans fin, et je sens mon corps sourire. C'est le sourire le plus faible, le plus fatigué, celui qui se contente d'admettre que rien de tout ça n'a de sens. C'est le sourire des paumés, paumés au milieu de la ruche, de la vague que je suis.
Tentant désesperemment de ne pas être écrasée.
Et ça n'est plus humain. Ne regarde pas, ne ris pas – parfois c'est si idiot que je pourrais rire. Une fois c'était si absurde que j'ai commencé à rire. D'autres gens ont commencé à rire aussi. C'était l'un de ces moments rares et précieux où les gens se sont juste mis à... être. Les gens étaient. Les gens voyaient. Ça fait mal d'ouvrir ses yeux et de se rendre compte de l'absurdité de tout ça, ça fait si mal que tu ne peux que rire ou pleurer – autant rire.
Et puis le moment a fini.
Ne ris pas. Parfois tu peux sourire. Et tu as l'air folle, même à tes yeux. Même pour la moi sur mon épaule. Et je ne ressens rien, rien que la conviction que tout ça n'a aucun sens, et que nous avons perdu tout ce qui faisait de nous ce que nous sommes.
« Pour votre sécurité… »
Et puis finalement, après un métro particulièrement plein, après les gens qui se plaignent, et celui qui dit on peut rentrer plus de gens, et l'autre qui dit je n'ai pas le temps je vais voir mon père à l'hôpital et les gens qui ignorent le vacarme, qui ignorent ceux qui ont pété les plombs et s'agressent, après 210 secondes que j'ai comptées – parce que le métro est si bondé que je ne pouvais pas sortir mon téléphone, il aurait été volé (Pour votre sécurité...), donc il faut que je me concentre sur quelque chose, donc je compte les secondes, et ça fait seulement 210 secondes, mais de très longues 210 secondes, c'est finalement mon arrêt. Et puis le flux sort, tant de gens à la fois, emplissant les escaliers.
Et il est 18h59 et la boulangerie dehors ferme à 19h et est-ce que je peux encore acheter quelque chose ? Bien sûr que je peux, et au lieu d'acheter une baguette je finis par acheter des tas de pâtisseries juste pour le plaisir d'acheter de la bouffe qui claque. Juste parce que dépenser de l'argent me fait ressentir quelque chose. Ou plutôt, l'idée de dépenser de l'argent pour cette odeur délicieuse (dont je sais qu'elle est fausse, on sait tous qu'elle est artificielle, l'odeur sur le perron de la boulangerie, elle n'est là que pour t'attirer à l'intérieur, et ça marche) me fait ressentir quelque chose. Et le travail que j'endure, et ces stupides heures perdues en transport, paraissent acquérir un sens nouveau quand l'argent en plus que j'en tire peut être dépensé. Je hais ça. Je hais le fait que je suis si facile à acheter, une pétasse en plus dans une société qui produit des pétasses à la chaîne.
Peut-être que demain j'arriverai à me réveiller sans pleurer à cause d'encore un rêve de travail, à la place je pourrais m'enthousiasmer pour ces délicieuses pâtisseries.
Sans doute pas. Je me réveille toujours en pleurant.
Mais ça va. J'ai de la chance d'avoir ce travail qui me permet de m'acheter les pâtisseries. Et je paie et c'est chouette et on se dit des « Merci » et des sourires forcés et des « Bonne soirée » et puis on s'en repart.
Et puis un, sourire sincère, celui qui accompagne « Bon courage. » Et je me rends compte que je le dis de plus en plus, aux vendeurs, aux collègues, à la femme de ménage, à mon colocataire, à tout le monde. Ce n'est plus « Bonne journée. » C'est garde la force. Garde la foi. Bon courage. Et c'est le plus sincère et ça me rappelle mes jours comme Opératrice à Disneyland, quand les gens ne me voyaient jamais, sauf ceux qui voyaient et comprenaient, ceux qui me souhaitaient sincèrement de tenir le coup.
Tiens le coup. Bon courage. C'est devenu une mode dans cette ville, ça fait partie intégrante de la langue française maintenant, et c'est la chose la plus sincère à souhaiter, pour montrer que même quand tu regardes vers le bas, même quand tu noies tes émotions dans le Xanax, même quand tu as arrêté de t'en soucier si fort que tu ne regardes le monde qu'à travers ta fenêtre intérieure en gardant cet étrange petit-sourire-fatigué-du-métro-pourquoi-est-ce-qu'elle-sourit-celle-là, tu en as suffisamment quelque chose à foutre pour souhaiter bon courage.
J'espère que ces mots ne deviendront jamais une expression courante. J'espère qu'ils garderont toujours leur sens profond, ce voeu de force, parce qu'on sait tous à quel point c'est dur et la force qu'il faut.
Et c'est probablement la même chose dans toutes les grandes villes occidentales, mais c'est épuisant, et c'est pour ça que je fais ça, et qu'est-ce que je pourrais faire d'autre, et quand je rentre à la maison je suis épuisée et mon coloc essaie de me parler parce que c'était aussi Une De Ces Journées et qu'il faut en parler, et je me sentirai mal et j'aurai besoin de me reposer, parce que c'est épuisant.
Et demain je me réveillerai en pleurant mais j'aurai de délicieuses pâtisseries et peut-être que je serai en retard ou peut-être pas et peut-être que j'aurai de la chance et qu'il n'y aura aucun problème et que ça ne me prendra qu'une heure et quart pour aller au boulot et peut-être qu'il y aura le gars avec l'accordéon qui joue Ave Maria à Place d'Italie et peut-être qu'il n'y aura que quatre mendiants cette fois. Et puis je lirai et je me sentirai mal et noyée dans le Xanax – encore une fois, je me fous de ce que je ressens tant que je ne ressens rien du tout, mais c'est impossible. Et peut-être que j'aiderai les étudiants et peut-être que je haïrai les étudiants et sans doute que les étudiants me haïront et tout peut arriver et puis je verrai mes collègues et on se souhaitera bon courage.
Parce que c'est ce qu'il faut maintenant. C'est comme ça qu'on vit. Une ruche où les yeux ne se rencontrent pas et les gens deviennent des vagues et parfois, juste parfois, tu vois quelqu'un. Et ça fait mal. Parce que tu te rends compte que c'est quelqu'un.
Quelqu'un comme toi.
Parfois tu brises le flux.
Parfois tu ressens des choses.
Et tu as besoin de la force.
Tu as besoin de bon courage.
C'est curieux de lire ses propres mots dans une autre langue. C'est un peu magique comme procédé. Merci beaucoup pour ton travail de traduction, ça me touche que ça t'ait touchée suffisamment pour que tu prennes le temps et le soin de le faire. Tu as eu quelques fulgurances (le coup du "fusil, ça me flingue", j'ai esquissé un sourire), il y a des choses que je n'aurais pas vues, d'autres que je n'aurais pas traduites ainsi ("regarde vers le bas" serait peut être plutôt "baisse la tête" ou "baisse les yeux"), mais il y a une double patte maintenant, et c'est intéressant de voir comme on impacte les autres sans le vouloir.
RépondreSupprimerN'empêche, en anglais comme en français, quelle ville de merde, quelle mentalité de merde. Mais gardons courage.
Un immense merci à toi.
De rien ! C'est vrai que j'ai choisi la traduction façon Robot de Google pour le "Always look down", tes propositions sont plus intéressantes. Celui qui m'a fait remettre en question ma vie entière c'est le "Dumb it down", il avait douze interprétations possibles et j'avais l'impression qu'aucune ne fonctionnait :'D
SupprimerMerci à toi pour ce texte.
Texte saisissant,très beau, désespérement vrai.
RépondreSupprimerIl me semble (non, je suis sûre) que "Regarde vers le bas" est plus fort que "baisse la tête" ou "baisse les yeux".
Thanks ggreat blog
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