Mes romans sont-ils maléfiques ?

Pas sûre d'où cet article va ; une dame anglophone que je suivais sur LiveJournal utilisait le mot rant, ce que sans chercher la traduction exacte je comprenais comme des "grands pavés de texte destinés à râler" : je le lui emprunte aujourd'hui.

Bref : il y a une question qui me taraude dans mon rapport aux histoires que j'écris, et je n'arrive pas à l'élucider, donc je me suis dit que j'essaierai d'éclaircir mes pensée dans un article.

La vie en ROSE

Récemment j'ai piqué une crise de colère stupide - comme souvent mes crises de colère - à propos d'une saloperie de projet de roman qui, à mon humble avis, est maléfique, par son thème et par sa façon de s'insinuer dans mes doigts pour être écrit de force.

J'en ai déjà parlé ici, il s'appelle La vie en ROSE et raconte l'histoire d'une jeune femme qui cherche du travail ainsi qu'à survivre dans une France alternative gouvernée par l'extrême-droite. Je l'ai imaginé et ai commencé à l'écrire dans une période déprimée de ma vie où je désespérais de trouver du travail.

La particularité de ce roman, c'est que chacun des événements qui devraient être des moments de joie ou de célébration ou de sécurité ou d'amour dans la vie de l'héroïne sont inextricablement empoisonnés par le changement politique et surtout le changement culturel qui va avec.

Sortir avec un gars, participer à la vie de son quartier, interagir avec la police... tout ça devient dangereux, donc angoissant, donc difficile. Bref : c'est de la souffrance, servie sur de la souffrance, avec des petits copeaux de souffrance par-dessus et une petite cerise de souffrance sur la fin.

Et ça m'énerve. Ça m'énerve que cette histoire me trotte encore en tête, qu'elle me fasse des promesses à base de "je te jure que j'ai du potentiel" et qu'elle me fasse juste déprimer à mesure que je me la sors du cerveau. Certes, il faut du conflit pour qu'il puisse se passer quelque chose pour qu'une histoire intéressante soit narrée, mais cette persécution systématique du personnage par son environnement est crevante, et je crois qu'elle rend le roman entier maléfique, quand bien même je n'ai pas d'intention malveillante en l'écrivant. J'ai peut-être tort, mais c'est ce que je pense actuellement.


Citoyenne des Temps Futurs

Bon, la fin de Citoyenne des Temps Futurs est sortie en janvier. Spoiler, est-ce qu'on peut parler de Robert Human ?

Après avoir eu l'impression que ce que j'ai fait de lui était nécessaire - un amateur de trauma-porn, quelqu'un qui aime assister à la souffrance des autres quitte à la provoquer lui-même par n'importe quelle méthode, un sadique peut-être même si je ne suis pas certaine que ça colle - les doutes sont arrivés.

Robert Human est un violeur et il en est très fier. Je ne suis pas certaine qu'évoquer ce sujet sur lequel on n'est pas assez aseptisés - alors qu'un méchant qui aime tuer des gens ça va, on arrive assez bien à s'en détacher - ait été la bonne idée, ait apporté quelque chose d'essentiel au roman.

C'était censé être une histoire un peu légère, un peu survivante, un peu "la vie m'en a mis dans la gueule mais je reste debout", et puis une histoire d'amour entre deux femmes aussi, quand débarque soudain un homme qui se comporte comme une version mal comprise du Diable et se propose de torturer l'héroïne.

Je sais pourquoi je l'ai fait : pour montrer un des visages du viol. Mais est-ce que c'était la bonne chose à faire ? Est-ce que le fait qu'il s'agisse d'un roman de SF ne rend pas le message plus flou, déplacé même ? Est-ce que je peux remplacer cette intrigue par autre chose lors d'une réécriture ou est-ce que c'est trop tard, toute l'histoire est maléfique et devrait être oubliée ?


Robinson 

Il y a ce roman qui n'est pas maléfique. J'en ai déjà parlé, son titre de travail est Robinson et il changera sans doute en cours de route.

Il contient du conflit intérieur de deux personnages qui en ont pris plein la gueule et essaient de ne pas laisser leur vie être définie par ça. L'un a choisi de se retirer du monde et de vivre sur une île ; l'autre a décidé de rester en ville pour ne pas céder l'espace à ceux qui l'ont agressée.

Le roman, c'est les deux personnages qui se rencontrent sur Internet, développent une immense affection l'un pour l'autre sans jamais vraiment tomber amoureux, et s'épaulent sans le faire exprès dans leur trajectoire de guérison - jusqu'à un rebondissement final qui met évidemment fin au roman.

Je n'arrive pas à l'écrire. Rien ne marche, rien n'a de saveur. J'ai des plans et des fiches persos et une idée précise du passif des deux héros mais ça ne veut pas, ça ne fonctionne pas, ça refuse. Je n'y rêve presque jamais. Je ne trouve pas l'état d'esprit pour le rendre réel.

Et ça me tue, parce que j'ai le sentiment que ce serait cathartique, que ça pourrait dire quelque chose d'intéressant, mais tout ce que mon con de cerveau me sort c'est davantage de rebondissements dégueulasses pour la dystopie facho.

Est-ce que c'est moi qui aime mettre en scène la souffrance ?
Est-ce que c'est moi, la sadique ?
Je me pose la question.


J'avais besoin de me sortir ces pensées de la tête.

Je crois que le cliché qui me vient à l'esprit, c'est une personne qui prie et demande à sa divinité pourquoi de mauvaises choses arrivent aux bonnes personnes, sauf que dans le cadre d'un roman dont je décide tout c'est de ma faute s'il arrive de mauvaises choses aux bonnes personnes.

Je me pose des questions sur la fonction des histoires. Il y a une fonction d'occupation de la personne qui écrit. Il y a une fonction d'évasion, d'échappée du quotidien pour qui lit. Il y a une fonction de transmissions d'idées, de rêves, d'opinions, de sentiments entre les deux.

Je me pose des questions sur la fonction de mes histoires. Elles m'amusent, c'est déjà ça - sauf quand elles ne m'amusent pas et qu'elles m'éreintent. Elles ont parfois diverti des gens, et ça me fait bien plaisir. Mais là où je m'inquiète c'est sur la substance de ce que je raconte : un impact positif sur mes lecteurs, ce serait trop demander ; l'inutilité, ce serait déjà pas mal ; un impact négatif, c'est ce que je crains.

Si écrire une histoire m'angoisse sans que la catharsis vienne jamais, est-ce qu'elle ne va pas gâcher la journée du lecteur qui la lirait ? Si une histoire punit un personnage qui n'a rien fait de mal et qu'un lecteur s'y reconnaît, ne suis-je pas responsable de sa souffrance inutile ?

Je suis encore très paumée dans ces questions.

En tout cas, pour le moment, tant que je n'aurai pas atteint un stade de l'histoire où l'espoir revient, je ne publierai pas La vie en ROSE.

Quand je relirai Citoyenne des Temps Futurs pour la version complète, je regarderai bien fort si le méchant reste ou s'il doit partir.

J'espère que j'écrirai mes projets de romans moins fatigants un jour.

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