Citoyenne des Temps Futurs, intégrale

Une histoire un peu longue avec un début, un milieu et une fin fermée sur ce blog : ce n'était pas arrivé depuis Saxifrage. Merci d'être encore avec moi là-dedans.
"Tu es Marie, c'est ça ? Marie l'étrangère ?"
Bénédicte Marie, astronaute pas chère, a débarqué dans la Société, un régime totalitarisant qui l'a mise au travail le plus vite possible.
Pourra-t-elle jongler entre apprendre la langue, comprendre son environnement, sortir de là, esquiver les haters et trouver l'amour ?

Voici le lien de téléchargement en PDF.
Voici le lien de téléchargement en ePub.


J'AI CALÉ UN TRIGGER WARNING SUR CE BOUQUIN, DISPONIBLE CI-DESSOUS.
Trigger Warning : Mention de viol aux chapitres 7-8-9.
Dans le contexte, ça a du sens, mais bon, être prévenu fait toujours plaisir je suppose.

Pour l'historique :

Article historique de sortie des chapitres 1, 2 et 3 ;
Article historique de sortie des chapitres 4, 5 et 6 ;
Article historique de sortie des chapitres 7, 8, 9 et 10.


Dans l'article de sortie du troisième bout de l'histoire je vous avais plus ou moins annoncé de quoi je parlerais dans cet article : d'idées coupées au montage qui ne sont finalement pas arrivées dans le bouquin, pour le meilleur ou pour le pire. Regardons-les !

Oh, et spoilers pour toute l'histoire, évidemment.

 

Les premières notes sur l'histoire

Les SMS à Séb

Ces SMS à Séb sont perdus aujourd'hui car j'ai un modèle de téléphone qui m'oblige à effacer mes SMS de temps en temps si je veux pouvoir en recevoir de nouveaux. En tout cas, je me souviens de ses réponses, à base de "je comprends rien, tu m'expliqueras ça à la maison".
L’échafaudage de l'histoire était à peu près dedans. C'est une femme qui se retrouve dans le futur sans repères, un genre de parodie de dystopie, mais après elle se rend compte qu'il y a une menace en-dehors, elle va l'affronter et puis l'humanité est libérée.
J'ai essayé de retranscrire le plus possible de ça dans un petit fichier de notes en .txt (car le .txt est l'ami de votre prise de notes rapide, cf cet article), dont je vais choisir des morceaux à commenter.

Deux salles, deux ambiances

N'est pas resté un détail de la Société qui figurait dans les premières notes : les Citoyens devaient être tellement stressés par la menace existentielle de Robert Human que le mot "humain", prononcé par Bénédicte, devait les mettre en crise d'angoisse, ce qui expliquait qu'elle ne parvienne pas à enquêter trop profondément et à obtenir les réponses qu'elle cherchait.
Finalement, ça ne s'intégrait nulle part dans le récit et ça infantilisait les Citoyens plus qu'autre chose, donc pas une grande perte.

Calmos sur le fétichisme

Si vous trouvez la description des trois castes vaguement fétichiste dans le chapitre 2, c'est qu'elle l'était beaucoup plus avant. Je veux dire, j'avais précisé le bonnet de soutien-gorge dans mes notes. Une compétence importante pour un écrivain c'est de savoir repérer quand ses propres névroses ont coulé dans le texte, et ma copine m'avait quittée peu de temps avant.

Le scope s'est calmé

Toujours dans ce premier fichier de notes, Robert (qui s'appelle alors juste HUMAIN) a englouti tout  l'Univers sauf la Société.
C'était un peu trop hyperbolique : le système solaire entier, c'est déjà assez horrible comme ça. En plus, ajouter des détails stupides sur le fait qu'il s'agit de micromachines et pas de nanomachines, qu'on ne peut pas micromachiner une géante gazeuse ou que reconstituer une planète met à mal sa tectonique, ça persuade le lecteur que le setting est un peu plus crédible alors qu'en fait tout ça est toujours fondé sur zéro science.

 

Tentatives de développement

Finalement une romance

Le premier fichier de notes mentionne le lesbianisme de Bénédicte. Le premier fichier de notes traite ça comme un fun fact d'autant plus fun que la Société est hétéronormative.
Comme les gens de la vraie vie, les personnages fictionnels ne sont pas obligés d'être impliqués dans des romances pour prouver leur sexualité. Néanmoins, ne pas trouver de copine à Bénédicte ne servait pas spécialement l'histoire, donc le personnage encore flou de "Citoyenne qui lui adresse la parole" est devenue son love interest.

Traïzie et le lesbianisme

Dans mes vieilles notes, Traïzie est très confuse par le concept de sexe entre deux Citoyennes, même après l'avoir fait plusieurs fois avec Bénédicte. Finalement, cette confusion n'apportait rien à l'histoire, desservait son intelligence, et ajoutait une ambigüité là où il n'en fallait pas - sur son consentement à coucher avec Bénédicte, qu'il m'a paru thématiquement important de rendre certain.

Donzar, Mérisha et Qilépé

... n'étaient pas des personnages très développés, ni très séparés dans ma tête, au point où leurs noms sont en bordel dans ma note "Personnages.txt" (qui devrait s'intituler "Prénoms.txt").
Qilépé devait être mentionné comme un chef qui n'essayait pas de tuer Bénédicte au contraire de Philanca et c'est tout. Je ne déteste pas ce trognon de développement qu'il a gagné.
Donzar et Mérisha étaient deux noms alternatifs du même personnage (celui qui apparaît dans le chapitre 1) car j'avais oublié que je lui avais déjà trouvé un nom quand j'ai trouvé le deuxième.
Mérisha, en tant que personnage, n'existait pas. Je suis bien contente qu'il existe désormais.
Faut-il voir un message dans le fait que les personnages masculins soient beaucoup moins développés que les féminins ? Écoutez, je préfèrerais qu'on mette ça sur le compte d'une faiblesse d'écriture, ça m'attirerait moins d'ennuis.

 

Décisions sur le tard

Mathilde

Mathilde est un personnage qui est apparu quand j'ai creusé mon idée de départ et que j'ai enfin intégré que voyager dans le futur est littéralement une fuite en avant et qu'elle nécessitait donc un objet à fuir. Puisque j'avais trouvé un love interest à Bénédicte, pourquoi pas une ex ?

Un téléphone n'est pas un bon endroit où prendre des notes...

... Ou, en tout cas, pas des notes qui finissent dans le manuscrit. Elles datent apparemment de juin 2019, une période de regain d'intérêt de ma part pour ce projet précis. Je les copie ici :
"À cette époque-là, j'étais complètement épuisée et je me disais qu'une femme ne pourrait jamais être une bonne compagne pour moi parce que, traumatisée du patriarcat, elle resterait à jamais sur la défensive et dans la manipulation émotionnelle. Bref : j'avais fait un tour complet du féminisme jusqu'à redevenir misogyne."
Cette idée n'est pas arrivée telle quelle dans le manuscrit parce que Bénédicte n'a pas tant de recul que ça sur sa rupture avec Mathilde et parce que finalement ce n'est pas tout à fait ce qui s'est passé. Au lieu d'être "traumatisée du patriarcat", Mathilde est bourgeoise. Girls can be anything !!
"Et soudain, Traïzie me rappelle Mathilde."
Cette idée est définitivement dans le manuscrit mais pas comme ça car, je me répète, Bénédicte n'a pas tant de recul que ça sur sa rupture avec Mathilde. Et puis pour la subtilité on repassera.
"La Raison veut que Mathilde soit morte depuis bien cent ans mais tout mon instinct me crie que je ne l'ai abandonnée qu'il y a quelques mois et qu'elle ne peut pas être loin."
L'idée que Bénédicte ne peut pas automatiquement assimiler la notion que beaucoup d'années sont passées tant elle est contre-intuitive par rapport à sa propre perception du temps est restée, mais, encore une fois, qu'est-ce que ça manque de subtilité. 

Bénédicte et sa grand-mère

À un moment du récit Bénédicte craint d'être exotisée et, pour le justifier, je lui ai donné une expérience désagréable de l'exotisation. Comment ça se passe ?
La question de savoir qui est ou n'est pas Noir est très politique, et je ne suis pas du tout dans les histoires donc je n'ai pas d'opinion à avoir sur le sujet.
Du point de vue de Bénédicte, qui est un personnage ayant passé sa jeunesse dans les années 2040-2050, la première chose à considérer est si elle reçoit ou non de la négativité de la part d'institutions ou de nombreux individus en raison de son apparence physique, ce qui n'est pas son cas. Elle tend donc à se considérer comme Blanche, contrairement à son père.
Sauf que de temps à autres, un raciste particulièrement motivé va lui fouiller l'arbre généalogique pour y trouver de l'exotisme en la personne de sa grand-mère paternelle, ou détailler ses caractères physiques pour la déclarer non-européenne, une expérience rare mais qui l'horrifie.
Quand je me suis rendu compte du point de vue de mon personnage sur le sujet, pour des raisons de cohérence de l'histoire, j'ai laissé tomber des trucs que je pensais caser concernant la Société, les différences physiques entre Citoyens et le racisme. Après avoir établi qui Bénédicte était, je ne voyais pas pourquoi elle se serait focalisée sur ces questions ; comme c'est elle qui raconte l'histoire, si elle ne veut pas parler de quelque chose, je ne peux pas l'y obliger.
Ce détail sur elle n'est donc plus mentionné qu'à deux endroits, une première fois parce qu'elle craint d'être exotisée par Traïzie et doit faire le tri dans l'horreur que ça lui inspire, et une deuxième fois par Lydia qui mentionne la grand-mère paternelle de Bénédicte comme particulièrement signifiante dans l'ignorance qu'elle a de cette moitié de sa famille.
Oubliés donc, ces personnages qui devaient demander à Bénédicte s'il y a des Noirs dans la Société. Je peux vous J.K. Rowlinguer la réponse : tous les Citoyens n'ont pas la même couleur de peau mais comme ils n'ont pas l'air d'y accorder de l'importance Bénédicte conclut que ça n'a pas l'air d'un facteur de classification des êtres humains et qu'il n'y a donc ni Noirs ni Blancs dans la Société.
Ce n'est pas plus mal que ça ait sauté parce que c'est le cliché le plus fade sur l'évolution à long terme du racisme.
Après, ce ne serait pas le pire endgame pour nos descendants (du moment que c'est une vraie disparition et pas juste une dissimulation d'un facteur de discrimination alors que la discrimination sévit encore), mais, littérairement, ça reste fade.

Les motivations de Philanca

Pendant très longtemps, Philanca était, simplement, très xénophobe.
Puis je me suis un peu plus intéressée à elle et je me suis demandé pourquoi elle plutôt qu'une autre personne, dans son rôle.
C'est une question intéressante à se poser, parfois, en fiction : "pourquoi ce personnage plutôt qu'un autre ?" Dans certains cas, c'est mieux si la réponse est "par hasard" ; dans d'autres, c'est mieux si la réponse est "pour une bonne raison".
Un exemple qui me vient en tête, c'est "pourquoi cette personne a jeté le premier caillou sur l'horrible dictateur et a ainsi déclenché la révolution qui a enfin libéré son pays ?" ; "par hasard" a un message relativement mignon, tandis que "pour une bonne raison" peut sous-entendre que ce premier révolutionnaire a une histoire personnelle qui fait de lui un homme exceptionnel ou un conspirateur préparé, un message plus ou moins négativement connoté. 
J'ai préféré la version "Philanca a une bonne raison", qui me permettait d'évoquer un autre point rigolo en matière de voyage dans le temps : la notion de descendance. 

Robert Human et sa théorie hobbyiste du viol

Faire de Robert un violeur était une décision très tardive. Genre, octobre ou novembre 2019-tardive. La partie de l'histoire où Bénédicte quitte la Société pour rejoindre le nuage à l'extérieur a toujours été la partie la moins claire dans ma tête, du début à la fin de la phase de réflexions et de rêveries sur l'histoire, ce qui est dommage pour une péripétie de cette importance.
Qu'y avait-il avant ça, alors ? En fait, j'étais partie sur un cliché du type "le héros explique au dictateur que la dictature c'est moins bien que la liberté", sauf que je butais sur le déroulement de la discussion et que je ne voyais pas comment Bénédicte allait pouvoir réaliser ça. Je ne déconne pas, dans mon premier fichier de notes est écrit :
"Héroïne convainc le dictateur d'HUMAIN qu'il va mourir et que s'il ne relâche pas sa prise sur l'Univers ça signifie que l'Univers va mourir et qu'il n'en restera rien ; HUMAIN essaie de négocier avec héroïne mais elle ne lâche rien et il finit par accepter"
Au moins, reconnaître que c'était impossible et que ça ne fonctionnerait pas m'a permis d'avancer et a nourri le chapitre 7.
Vous verrez des traces de cet historique dans la discussion avec les trois rebelles (Marie-Gwendoline, Hassan et Vinh, dont les noms n'ont aucune importances pour l'intrigue), mais aussi avec Bénédicte qui essaie d'obtenir le statut d'administratrice en le demandant poliment à Robert (un de ces exercices d'auto-parodie incompréhensible dont les auteurs indépendants ont le secret).
L'autre bonne nouvelle, c'est que faire de Robert un violeur a pour conséquence que le roman traite de sexe du début à la fin.

Citoyenne des Temps Futurs et le ciscentrisme

Bon, si ça vous ennuie passez au point suivant, mais dans cette histoire où figurent du L, du G et du B, à un moment, faut justifier où est le T. Parce que qui a lancé les premières briques à Stonewall, hein ? J'en sais rien j'y étais pas, et ça n'a rien à voir avec ce dont j'étais en train de parler.
Il s'avère qu'à chaque fois que la question de la transidentité apparaissait dans mes notes ou dans mes plans pour Citoyenne des Temps Futurs, c'était un cheveu sur la soupe. Je retrouve deux passages.
Dans le premier, Traïzie, beaucoup trop confuse sur son lesbianisme comme je l'ai mentionné plus haut, soutenait que si elle et Bénédicte venaient de faire l'amour alors l'une d'entre elle devait être secrètement un Citoyen. Une affirmation stupide qui réalisait l'exploit d'être à la fois lesbophobe et transphobe.
Dans le deuxième, Bénédicte, qui racontait beaucoup plus sa vie dans mes notes que dans l'histoire finale, mentionnait que dans le temps elle couchait avec des femmes cis et des femmes trans, même si le deuxième cas lui arrivait plus rarement. Sauf qu'à quoi ça servait ? À rien dans l'intrigue, et du point de vue du développement de personnage ça ressemblait à une tentative de la part de Bénédicte d'avoir l'air vraiment très tolérante. C'était désagréable et, je pense, incohérent, puisque Bénédicte a passé sa jeunesse dans les années 2040-2050 et que j'espère qu'on sera tous collectivement passés à un autre stade de compréhension de la transidentité à ce moment-là.
Est-ce que je J.K. Rowlingue ça à fond la caisse ? Allons-y tristement : les Citoyens et Citoyennes qui ne se reconnaissent pas dans leur genre assigné à la naissance (identifiable physiquement à la taille et quelques autres caractères) sont mal barrés : la notion de transition n'est pas vraiment un truc, quitter son lieu de naissance pour s'installer ailleurs sous une autre identité n'est pas possible. La Société, c'est de la merde.
Au moins, à la fin de l'histoire, l'isolement de la Société n'est plus et tous les Citoyens peuvent entendre parler des personnes trans de l'extérieur et peut-être se reconnaître en elles ! Mais hors-caméra du coup ! J.K. Rowling, sors de ce corps !

Plutôt qu'une ascension, des options

Le premier doc mentionne qu'après que Robert Humain est détruit, les gens continuent d'être des nuages de micromachines, mais comme ils sont libres, ils sont désormais libres d'apprécier comment c'est plus sympa d'être un nuage de micromachines qui vivra pour toujours plutôt qu'un être de chair et de sang et font donc comme ça.
Fuck that, a dit la personne du futur qui a relu ça, parce qu'entre 2017 et aujourd'hui j'ai enfin pigé qu'il y a une aberration dans certaines de mes résolutions de romans.
L'objectif de démettre un système oppressif n'est pas forcément de mettre un nouveau système normatif en place sauf que celui-là, promis, c'est le bon.
J'ai tenté une fin qui suggère qu'ouvrir aux gens la possibilité de devenir des nuages de micromachines n'était pas maléfique, c'était leur couper toute autre option qui l'était. Que redevenir un être humain n'est ni une bonne ni une mauvaise idée, c'est un choix.


Le papier s'il vous plaît

Qu'en est-il du papier, un sujet de conversation que j'avais aussi promis d'aborder dans l'article précédent ?

Mon plan pour l'avenir est de me faire faire un exemplaire personnel d'un bouquin format livre de poche, pour rire pour voir quelle épaisseur ça représente (car l'histoire n'est pas longue), et aussi pour avoir un nouveau support de lecture où relever les coquilles et évaluer la profondeur des trous du scénario.

Un truc que je me dis c'est que ce serait rigolo, un jour, d'essayer de lancer des précommandes pour autopublier un bouquin en papier, mais je ne suis pas sûre que ce sera celui-là. Je dois pouvoir en trouver un plus intéressant. Et aussi ce n'est pas forcément la bonne période de ma vie, puisque je me suis rendu compte que depuis que j'ai un boulot à plein temps j'ai beaucoup de mal à avoir un "autre boulot" à côté, et trop de gens m'ont prévenue que les financements participatifs sont de vrais boulots pour que je m'y lance avec sérénité.

Enfin. Déjà. J'ai mis un point final, temporaire ou non, à ce projet : je n'en suis pas mécontente.

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